Myriam Gesler interpelle le ministre de l’agriculture au sommet européen de l’élevage sur l’escalade des violences subies par les acteurs de la filière viande.

 

« Jeudi dernier à Hotonnes, au cœur du Valromey, dans l’Ain, des individus cagoulés et masqués se sont introduits aux alentours de minuit par effraction dans l’enceinte des abattoirs GESLER et y ont allumé pas moins de huit départs de feux.

L’un d’entre eux, sur un tracteur agricole garé sur une cuve de 10 000 litres de gasoil, menaçait d’explosion la bouverie dans laquelle se trouvaient 57 animaux vivants.

Heureusement, une voisine réveillée par l’alarme incendie, a pu donner immédiatement l’alerte.

Grace à l’aide des éleveurs locaux, venus prêter main forte, nous avons réussi à sécuriser le troupeau dans une stabulation.

À l’aube, l’atelier de découpe, celui de charcuterie, et les bureaux étaient en cendres.

J’ai alors prévenu Marc Gesler, mon père de 81 ans, qui a construit cet abattoir. Il était en larmes et avait du mal à réaliser que toute une vie de labeur et de sacrifices, venait de partir en fumée.

Quant à mes cousins et moi-même, avec les 80 salariés de l’entreprise, les éleveurs venus nous aider et une partie du village mobilisée, nous avions du mal à croire que nos abattoirs avaient été anéantis.

Maigre consolation, l’intervention rapide des pompiers avait permis de sauver les enregistrements des caméras de surveillance, désormais dans les mains des forces de l’ordre pour analyse.
Elles montrent, sans aucune ambiguïté que cet acte criminel a été perpétré par des individus équipés et organisés.

L’enquête est en cours mais une chose est sûre : nous ne nous connaissons pas d’ennemis.

La réputation des abattoirs Gesler s’est construite au cours de cinq générations de bouchers qui ont toujours entretenu avec salariés, éleveurs, fournisseurs et clients, des relations commerciales saines et franches.

Comme vous le savez aussi bien que moi, la confiance et le franc parler sont de rigueur dans notre métier.
Et dans le monde rural, on ne frappe pas dans le dos.

Il s’agit donc bien d’un acte criminel et lâche, commis par un commando organisé, décidé à détruire probablement au nom d’une idéologie extrémiste.

Osons le mot, il s’agit d’un acte terroriste ! D’un terrorisme alimentaire !

Un acte terroriste dont le bilan matériel et humain est très lourd :
– Près de 5000 m2 de bâtiments inutilisables,
– 80 personnes au chômage technique,
– Des éleveurs sans solution pour faire abattre leurs bêtes,
– Des sociétés partenaires en grande difficulté,
– Des conséquences économiques dans tout le Valromey, dont l’abattoir est le second plus gros employeur.

Ce geste criminel a pour conséquence une catastrophe industrielle majeure pour tout un écosystème rural.

Sans présumer des résultats de l’enquête en cours, les récentes manifestations et dégradations de boucheries, la nécessité pour certains bouchers de placer des vigiles aux portes de leur magasin, les insultes et commentaires violents sur les réseaux sociaux, et aujourd’hui l’incendie criminel de nos abattoirs nous conduisent à penser nous avons été victimes d’une dimension encore plus violente de l’action de ceux qui souhaitent exercer cette dictature alimentaire.

Dans notre pays, 5% des gens se déclarent végétariens et 0,4% sont végétalien ou ‘vegan’ ne consommant aucun produit d’origine animal, ni fromage, ni œufs ou lait et refusant de porter du cuir.

La très grande majorité de ces vegans respectent les choix et pratiques alimentaires des 99,6 autres pour-cent de la population. Mais des groupuscules activistes se sont formés et ils mènent une guerre intolérante et extrême au nom d’une théorie dites “anti-spéciste”.

Leurs actions sont ni plus ni moins que du terrorisme contre les producteurs de viande et de fromage.

S’ils ont été jusqu’alors pris pour des illuminés, nous ne pouvons dorénavant plus accepter que les autorités n’agissent pas fermement pour arrêter et condamner leurs exactions.

Faudra-t-il mettre des agents de sécurité devant chaque abattoir ? Un co-pilote armé dans chaque camion de lait ? Un portique devant chaque boucherie ? Faudra-t-il attendre que quelqu’un paye le prix du sang avant de réaliser que ces gestes criminels mettent toute une filière agricole en danger ?

En France nous sommes 1 million de personnes à vivre de notre travail dans la filière animale et nous nourrissons 95% de la population. Nous ne pouvons plus vivre et travailler sous la constante menace de hors la loi.
Il faut que le gouvernement se saisisse fermement du dossier et enraye rapidement cette escalade de violence.

Après les blocages de nos locaux, les dégradations matérielles, l’incendie de de nos outils de travail et en l’absence de mesures fermes pour arrêter et punir ces terroristes, qu’est ce qui nous attends ? Des attaques physiques ? Des menaces sur nos vies ? Celles de nos enfants ?

Depuis l’incendie aux Établissements Gesler, nous avons relevé nos manches et commencé à trouver des solutions pour continuer notre activité grâce à la solidarité de nos partenaires, nos fournisseurs, nos clients et de nombreux anonymes. La solidarité n’est pas un vain mot dans nos territoires.

Nous avons réussi à délocaliser une partie de notre chaîne d’abattage, nous avons installé des bureaux de fortune dans nos maisons, nous pourrons bientôt rétablir un atelier de découpe hors site et pourrons peut-être produire rapidement nos salaisons chez certains de nos confrères.

Ils ont brulé nos bâtiments et nos outils ? Qu’à cela ne tienne ! Ils ne peuvent pas brûler l’essentiel : notre volonté farouche de faire vivre notre territoire, le Valromey, et notre détermination à protéger notre savoir-faire et nos emplois.

En revanche ils ont touché nos âmes.
Ils nous ont communiqué l’angoisse de savoir que ces criminels rôdent sans savoir quand, ou, et comment ils s’en prendront encore demain à l’un d’entre nous.

Si j’ai souhaité témoigner devant vous monsieur le ministre aujourd’hui, c’est parce que je refuse que nos métiers deviennent de façon inéluctable des métiers à risque.

J’ai souhaité témoigner pour toute cette communauté silencieuse, solidaire, travailleuse, méritante, qui a le droit de vivre de son travail en toute sérénité.

Le monde rural est un monde d’efforts et sa satisfaction n’est pas juste économique. Elle est aussi une qualité de vie paisible de territoire.

Et la campagne doit gagner les mêmes droits à la sécurité que le cœur des villes.

Merci de votre attention »